Est-ce important d’être autosuffisant ?
Commençons par définir correctement l’autosuffisance alimentaire et comprenons ensemble la distinction entre autosuffisance et sécurité alimentaire.
La sécurité alimentaire a une définition officielle : « La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active » [1].
L’autosuffisance alimentaire, quant à elle, est la capacité pour un périmètre donné (un pays, une région, une ville, etc..) à produire sa propre nourriture. Plus précisément, c’est le rapport entre la production agricole au sein du périmètre étudié comparé à la consommation de ses citoyens. Un taux de 100% veut dire que la production alimentaire est égale à la consommation totale au sein du périmètre. Puisque certains aliments ont besoin d’importations pour être produits dans le périmètre (par exemple l’alimentation donnée aux bétails ou les semences), il existe un taux brut et taux net d’autosuffisance. Le taux net ne prend pas en compte les aliments importés alors que le taux brut les prend en compte. Ce dernier donne donc une image plus complète de la situation.
Avant d’aller plus loin, il est intéressant de comprendre ce que peut apporter une plus grande autosuffisance alimentaire et les enjeux liés à cette question.
Accroître l’autosuffisance alimentaire d’une région permettrait d’augmenter la résilience de la sécurité alimentaire, puisque cela entraînerait l’augmentation de la production indigène et diminuerait les importations. L’autosuffisance permet donc d’augmenter l’indépendance et d’assurer une alimentation suffisante en cas de crise, que ce soit une guerre ou une épidémie, bloquant par exemple les axes de transports.
L’autosuffisance alimentaire peut aussi avoir un impact positif sur le climat et la biodiversité, car elle réduit la distance entre le producteur et le consommateur et encourage une production locale diversifiée de denrées alimentaires. Néanmoins, l’impact climatique des aliments varie selon leur nature (par exemple, la production de viande émet beaucoup plus de gaz à effet de serre que des aliments végétaux) et la manière dont ils sont produits (de saison, avec le moins possible d’engrais et de pesticides). Ainsi, vouloir produire et consommer des tomates en Suisse durant l'hiver n’est pas bénéfique pour l’environnement, puisque leur production nécessiterait l’utilisation de serres chauffées, principalement avec des énergies fossiles.
L’échelle à laquelle l’autosuffisance est envisagée est également importante. Prenons un exemple simple : dans un pays tel que la Suisse, aux surfaces de cultivation limitées et au climat relativement homogène, un risque de pénurie pourrait subvenir si seule l’échelle nationale était considérée. En effet, une sécheresse importante touchant l’entier du pays ne permettrait dès lors plus l’autosuffisance, et il faudrait donc considérer l’importation d’aliments de pays limitrophes, peut-être moins touchés par cette crise. Par conséquent, la complémentarité des climats permet de pouvoir produire une plus grande diversité de produits. C’est pourquoi il peut être pertinent de continuer à échanger avec des pays relativement proches, qui ont une plus grande production agricole et plus de marge de production.
La Suisse peut-elle être autosuffisante au niveau alimentaire et dans quelles conditions ?
La Suisse a un paysage atypique et est entourée de montagnes. En plaine, les enjeux territoriaux se superposent, au point de créer des conflits d’utilisation du sol. L’urbanisation progresse en même temps que l’augmentation de la population, et l’espace au sol devient précieux. Depuis les années 80, c’est l'équivalent de la surface du lac Léman qui a été urbanisé en Suisse pour faire place à des logements ou des infrastructures [2].
Dans ce contexte, la place pour l’agriculture est restreinte et nous importons actuellement environ 50% de nos denrées alimentaires [3]. Est-il donc possible d’être autosuffisant en Suisse ?
Une analyse sur l’optimisation de la production indigène suisse en cas de pénurie grave a été réalisée par l’Office fédéral pour l’approvisionnement économique du pays (OFAE) avec l’Agroscope [4]. Cette étude décrit les conditions nécessaires pour que la Suisse devienne autosuffisante au niveau alimentaire. En résumé, cette hypothèse devient possible si les habitants changent radicalement leur régime alimentaire et si les surfaces cultivées sont adaptées (par ex. cultiver moins de plantes fourragères).
Les Suisses devraient donc :
Abandonner les pâtes, le riz, la bière
Manger beaucoup moins de viande
Consommer plus de sucres lents et moins d’huiles végétales
Manger moins de sucre
Quels régimes pourraient avoir les Suisses s’ils voulaient devenir autosuffisants? source : [4]
De plus, la quantité totale d’énergie alimentaire disponible par habitant diminuerait. Ces changements de régime alimentaire permettraient d’adapter la consommation à ce que la Suisse serait capable de produire si elle était autosuffisante. De plus, toutes les surfaces cultivables seraient cultivées et il n’y aurait aucune marge de manœuvre.
Un des points charnière de cette adaptation de régime alimentaire est la diminution drastique de la consommation de viande. En effet, produire de la viande nécessite d’importantes surfaces agricoles et/ou d’aliments importés : actuellement, 50% de la surface de terres assolées (donc des terres agricoles de bonne qualité) est utilisée pour produire du fourrage pour les animaux et 50% des aliments pour les porcs et les volailles proviennent de l’étranger. De plus, les produits d’origine végétale consommés par la population ont une efficacité énergétique supérieure à celle des produits animaux (c’est-à-dire que l’apport nutritif est plus important pour le même apport en énergie de production).
En outre, les aménagements culturaux à mettre en place seraient les suivants :
Exploiter toutes les terres assolées dont la Suisse dispose
Remplacer une bonne partie des surfaces dédiées à la production fourragère par de la culture de céréales
Augmentation de la production de légumes
A quoi ressembleraient les cultures suisses si l’autosuffisance devait être atteinte? source [4]
Sur la base de cette étude, nous observons qu’il est possible d’être autosuffisant en Suisse au niveau alimentaire, mais que les changements d’habitudes et de cultivation des terres agricoles sont grands. Les limites de ce modèle sont les suivantes :
L’utilisation de toutes les terres assolées ne donne pas de marge de manœuvre en cas de contrainte climatique inattendue
La modification du régime alimentaire serait difficile à faire accepter rapidement par les suisses
L’offre calorique diminuerait et pourrait ne pas suffire en cas d’augmentation de la population ou de changement d’habitudes de vie (augmentation de l’activité physique).
Toutefois, nous pouvons remarquer que certaines “contraintes” liées à cette analyse peuvent être bénéfiques à d’autres domaines, tels que la santé et la protection de l’environnement. Comme par exemple la diminution de la consommation de viande. En effet, actuellement les Suisses mangent en moyenne 9 repas avec de la viande par semaine, alors que les recommandations nutritionnelles conseillent 2 à 3 fois/semaine [3] voir moins [5]. De plus, la consommation de sucre et d’alcool est nocive pour la santé et leur production a un impact environnemental important.
En outre, les aliments sont précieux et il est important de limiter leur perte, que ce soit au niveau de leur production, récolte, stockage, transformation, distribution ou encore consommation. En effet, les pertes au niveau de la consommation et la distribution se montent actuellement à environ 15-20% des aliments produits. Le potentiel d’amélioration est donc important.
Et pour conclure...
L’autosuffisance alimentaire est un concept important par rapport à la résilience de notre société et à notre impact sur l’environnement. Certains principes simples, également bénéfiques pour la santé et l’environnement, peuvent être mis en place afin d’augmenter notre résilience au niveau alimentaire :
Réduire notre consommation de produits d’origine animale (viande en particulier), d’alcool et de sucre
Diminuer autant que possible le gaspillage alimentaire
Consommer des aliments locaux et de saison
Ainsi, l’autosuffisance alimentaire peut être un objectif particulièrement bénéfique s’il est bien mis en œuvre, tant pour le climat que l’économie locale et la résilience en termes de sécurité alimentaire. Toutefois, l’échelle à laquelle cette autosuffisance est réalisée est un facteur clé pour en faire une réussite. Il nous semble ainsi pertinent d’augmenter notre autosuffisance tout en consolidant nos liens avec les pays voisins.
Pour terminer, un aspect peu abordé dans cet article est l’impact économique de l’autosuffisance. En effet, quel sera l’impact sur l’économie d’une augmentation de l’autosuffisance alimentaire en Suisse ? Vraisemblablement, l’économie interne sera plus forte, les agriculteurs suisses pourront être rémunérés à un prix plus juste et leur métier sera davantage valorisé. Le prix des denrées alimentaires augmenterait, étant donné le coût de la main-d'œuvre suisse par rapport aux autres pays, mais cela pourrait être compensé par le changement de régime alimentaire, moins coûteux.
Bibliographie
[1] "SÉCURITÉ ALIMENTAIRE DANS LE MONDE - Encyclopædia ...." https://www.universalis.fr/encyclopedie/securite-alimentaire-dans-le-monde/. Date de consultation : 8 févr.. 2021.
[2] "Sol: En bref - Bundesamt für Umwelt." 8 mai. 2020, https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/sol/en-bref.html. Date de consultation : 18 févr.. 2021.
[3] Impact de l’alimentation sur l’environnement
[4] Potentiel alimentaire des surfaces agricoles cultivées - Analyse d’optimisation de la production alimentaire indigène suisse en cas de pénurie grave : https://www.bwl.admin.ch/bwl/fr/home/themen/lebensmittel/nahrungsmittel/anbauoptimierung/potenzialanalyse.html
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